Interview au journal du Centre
Dites-nous, Yannick, quel déclencheur vous a donné envie d'écrire "La vraie couleur de la vie" ?
Lorsque j'ai été diagnostiqué autiste Asperger, lorsque le résultat est tombé, avec tout ce que ça comporte comme issues psychologiques, un peu comme une chape de plomb qui me tombait sur les épaules, après avoir digéré la réalité qui faisait que j'étais autiste, l'idée d'écrire ce livre m'a très vite traversé l'esprit. Ce devait être un témoignage qui expliquait non seulement ce qu'entend la réalité d'être autiste, mais aussi un livre qui expliquait au commun des mortels comment se déroule le très long parcours diagnostic officiel. J'ai d'abord écrit un petit livre que j'ai titré : "désolé mon empathie va avoir du retard", qui se destinait uniquement à mes enfants et à ma femme. C'est seulement quand j'ai eu leur aval que "La vraie couleur de la vie" est sorti.
Pouvez-vous nous expliquer simplement comment se traduit être autiste au quotidien ?
Je dirais que c'est se sentir différent. Me concernant, je me sens différent depuis que je suis tout petit. Enfant déjà, c'était compliqué de m'intégrer aux autres, avoir des copains. Puis j'ai grandi, mais ce sentiment de différence m'a toujours poursuivi. Je ne savais pas pourquoi. Alors, sans le savoir, je me suis adapté aux autres. C'est une spécificité autistique, l'adaptation. Nous sentons bien, en notre for intérieur, que ce ne sont pas les autres qui s'adaptent à nous. Finalement, quand j'ai su que j'étais autiste, étrangement, ça ne m'a pas étonné tant que ça. Posez la question à chaque autiste sur cette Terre et il vous répondra la même chose. Quand on a un trouble du spectre de l'autisme (TSA), on n'a pas d'autres choix que de nous adapter en permanence si nous ne voulons pas vivre reclus, à l'écart de la société. C'est un challenge perpétuel.
Il y a d'autres symptômes dans l'autisme. Vous pouvez nous les énumérer ?
J'ai l'habitude de dire qu'il y a quatre grands piliers dans l'autisme, qui sont tout d'abord la problématique des relations et des interactions sociales. C'est LE problème récurrent et principal. Puis on trouve les intérêts restreints, autrement appelés intérêts spécifiques. C'est notre bulle dans laquelle nous nous sentons bien. Des intérêts extrêmement énergivores et chronophages. Il y a la fatigue ensuite, due au fait que nous sommes dans l'adaptation quasi permanente. Il ne faut pas oublier que l'autisme de niveau 1 est un handicap invisible qui, par nature, ne se voit pas. C'est une lapalissade, certes, mais c'est surtout le fond du problème. Enfin, le quatrième pilier définit les troubles sensoriels, c'est-à-dire le fait d'être extrêmement sensible ou pas du tout à certaines notions comme la douleur, la chaleur, le froid, etc...
Comment vous est venu le goût de l'écriture ?
Très jeune. J'ai commencé à écrire vers l'âge de dix ou douze ans. Je me souviens, j'étais autant passionné par l'amour des mots, l'écriture, que par l'objet en lui-même. Alors une fois mon premier manuscrit terminé, je l'ai façonné à la manière d'un vrai livre : j'ai coupé chaque page à la même dimension ; il y en avait environ une cinquantaine. J'ai pris soin que chaque phrase soit parfaitement alignée aux autres. Puis j'ai assemblé toutes les pages entre elles. J'ai créé ma couverture et j'ai aussi écrit ma quatrième de couverture. J'étais heureux. Je possédais mon propre livre. Le mien. J'en étais fier. L'envie d'écrire ne m'a jamais quitté. J'ai toujours rêvé d'être édité. J'ai eu cette chance de l'être à 29 ans, par les éditions Lacour-Ollé, pour le livre "Légendaire de la Chapagne-Ardenne", un recueil de contes et de légendes sur ladite région. Plus tard, j'ai auto-édité deux romans, avant que vois le jour "La vraie couleur de la vie" aux éditions Librinova, en mars 2024. "Toi t'es autiste ?" est un essai. Un registre littéraire dans lequel je ne m'étais jamais aventuré jusqu'ici.
Que faites-vous lorsque vous n'écrivez pas ?
Je travaille, évidemment. La littérature est une passion, mais elle n'est pas assez rémunératrice pour ne vivre que grâce à elle. Je suis chef d'entreprise. J'ai quasiment toujours été TNS comme on dit : Travailleur Non Salarié. A mon compte. L'idée d'avoir un patron m'est difficile à accepter. J'ai commencé en tant que travailleur indépendant, agent co dans l'immobilier, j'avais 21 ans, juste après avoir effectué mon service militaire. Puis j'ai vendu des cuisines, des salle de bains aussi. Très vite j'ai ouvert ma propre boutique. Je me suis spécialisé dans l'agencement d'intérieur en général. C'était à Châteaubriant, en Loire-Atlantique. Après 25 ans passé dans ce domaine, j'ai voulu changé. Avec mon épouse, nous avons eu l'idée de reprendre une supérette. La proximité, c'était l'idée de départ. Alors nous avons racheté un Proxi Super en Corrèze. Un coin de France qui me correspond bien finalement. J'y pratique le vélo de route. Je roule environ 5 à 6 000 kilomètres par an. C'est un besoin avant tout. Un moyen de gérer au mieux mon autisme.
Il me semble que c'est grâce, ou à cause, de votre projet professionnel que vous avez appris votre autisme ?
Oui, exactement. En 2020, année où nous avons repris la supérette, le contraste fut saisissant avec l'activité que je pratiquais autrefois. C'était toujours du commerce, mais le rapport au client changeait radicalement. Très rapidement, parmi nos fidèles clients certains sont devenus des amis. On plaisante chaque jour. On parle tout le temps. Il y a pas mal de passages. De la lumière. De l'agitation. Du brouhaha. Plus d'une centaine de clients passent chaque jour au magasin. Très vite, j'ai commencé à ressentir une extrême fatigue. Puis une certaine irritation mentale. J'étais comme dans le tambour d'une machine à laver : remué en permanence. C'est là que j'ai commencé à voir un premier psy, sous le conseil de ma femme. Puis, de fil en aiguille, j'ai pris contact avec un spécialiste de la détection du haut potentiel et de l'autisme. En quelques mois c'était plié. Je découvrais que j'étais non seulement autiste, mais que j'avais aussi un HPC, une dysrégulation émotionnelle, que j'étais hyper-sensible et que j'avais un QI proche des 130.
Et maintenant, qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter ?
Tout le bonheur du monde, comme le dit la chanson. Je viens d'achever le petit dernier, en janvier 2025, le mois de naissance de ma fille. Peut-être un signe ? Mon dernier bébé, donc, que j'ai appelé "Toi t'es autiste ?". Alors disons que j'aimerais beaucoup qu'il fonctionne aussi bien que "La vraie couleur de la vie", sinon plus. Qu'il rencontre son public. Je croise les doigts...